Le Début de la Fin

Une rafale de vent balaye les arbres. Une pluie fine et glacée se met à tomber. Tu t'avances, lentement mais sûrement. La surface noire comme les ténèbres du lac s'étend devant toi. Ses eaux sinistres et troubles sont lisses, comme séparées de la pluie et du vent. Tu plonges une patte dans l'eau. Tu as l'impression que des griffes glacées se referment sur toi. Mais tu ne recules pas. Tu fais face au destin. Tu mets une deuxième patte dans l'eau puis tu avances d'une ou deux queues de renard. Le froid t'engourdit, t'embrume l'esprit. Mais tu sais de toute façon que bientôt, tu ne ressentiras plus rien. Un sourire se dessine sur ton visage. Enfin, tu vas connaître ce qu'est la vraie paix. La surface de l'eau t'arrive maintenant aux épaules. Calme, sûre de toi, tu as l'impression de parfaitement maîtriser tes actes. Tu es presque entièrement sous l'eau, et tu ne lèves même pas la tête pour respirer une dernière bouffée d'air. Tu fermes les yeux et tu plonges. Tu finis enfin par te perdre dans les ténèbres.


Je me réveillai en sursaut, suffocante. Je tremblais de tout mon corps. Autour de moi, la tanière des guerriers était vide, ou presque. Le corps de Perle de Lune gisait, sans mouvement. Ma vue se brouilla. Je courus à elle, les yeux piquants, et la secouait en criant son nom. Elle ouvrit les yeux et me regarda d'un air courroucé.
"Coeur d'Opale ! Ca ne va pas de me réveiller comme ça ? On est un lendemain d'Assemblé et j'ai dû participer à la patrouille de l'aube !"
 Elle s'aperçut de mon attitude désespérée et s'inquiéta.
- "Que se passe-t-il ?
- Je... Rien, répondis-je, la voix altérée.
- Coeur d'Opale, je sais que ça ne va pas ! Dis moi tout.
- Ca n'a pas d'importance. C'était un simple cauchemar, désolée de t'avoir réveillée", marmonnai-je en baissant les yeux.
J'essayais de parler d'un ton convaincu, mais je savais qu'il ne s'agissait pas que d'un simple cauchemar.
"Ce n'est pas grave, me dit Perle de Lune gentiment. Puisque je suis réveillée, autant aller chasser."
Nous sortîmes à l'air libre. Aussitôt à l'extérieur, nous remarquâmes que quelque chose n'allait pas. Les reines ramenaient les chatons dans les tanières d'un air affolé et un nuage de poussière à la sortie du camp nous avertit du départ précipité de guerriers.
"Vite, allons-y !" m'ordonna Perle de Lune.
Je la suivis, rongée par l'inquiétude. Les guerriers n'auraient pas laissé le camp sans surveillance pour une patrouille. Il devait se passer quelque chose de grave. Nous courûmes un moment, et j'eus le temps de me remettre les idées en place. Si nos camarades avaient besoin d'aide, je les défendrais bec et griffes.
Ma soeur s'arrêta brusquement et je l'évitai de justesse. Nous étions parvenues dans un endroit dangereux, plein de trous et de terriers, très apprécié des blaireaux. Les autres avaient disparu derrière un rocher, et nous nous y engageâmes silencieusement à notre tour.
Perle de Lune arriva en haut avant moi, et j'entendis un cri qui s'étrangla dans sa gorge. Terrifiée, je grimpai le plus vite possible pour la rejoindre, et je faillis crier à mon tour.
Etoile d'Azur faisait face à un énorme blaireau couturé de cicatrices qui repoussait toute attaque des chats venus aider le meneur. Je courus à toute la vitesse que me permettaient mes pattes. La bête avait acculé notre chef contre son terrier, et personne ne put l'atteindre. Etoile d'Azur semblait avoir mené un long combat et se défendait sans conviction. Un frisson me parcourut. Il fallait le sauver !
Mais déjà Perle de Lune courait en direction de la bête et s'accrocha à son dos en le labourant de ses griffes. Celui ci grogna et d'une secousse, jeta ma soeur qui alla s'écraser contre un arbre.
"Perle de Lune !"
Mais déjà le blaireau leva son énorme patte sur notre chef et l'abattit si violemment que je sentis le sol vibrer sous moi. Horrifiée, je vis Etoile d'Azur ouvrir lentement la bouche et tomber mollement à terre, formant sous lui une marre de sang qui s'étalait peu à peu.
Le blaireau s'enfuit. Mes oreilles bourdonnaient. Je m'évanouis.

Des rayons de soleil qui perçaient à travers le plafond de joncs me réveillèrent. Je commençai par me réjouir et remercier le Clan de la Lune pour cette belle journée qui s'annonçai. Mais notre meneur et mort, et tu ne le regrettes pas plus que ça ? me rappela une petite voix dans ma tête. Mon coeur se serra et même si j'avais l'esprit trop embrumé pour tout réaliser, mais je savais que bientôt la tristesse m'envahirait de nouveau. Je sortis.
Le froid environnant me piqua les poumons, et je toussai. Ca faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé, et en fin de mauvaise saison ce n'était pas vraiment bon signe. Mais je ne m'en préoccupai pas. Je m'apprêtais à réveiller ma soeur dans la tanière des guerriers, quand je me souvins qu'elle était maintenant la chef. A la place d'Etoile d'Azur. C'est à ce moment que je réalisai à quel point je regrettais la mort du meneur, tout ce que j'aurais donné pour le revoir ne serait-ce qu'une minute, avec ses airs bienveillants, son autorité naturelle. Je n'avais même pas eu le temps de lui dire au revoir que déjà la mort me l'arrachait. Son corps était encore au milieu du camp, et bientôt les anciens le frotteraient d'herbes odorantes et l'emmèneraient hors du camp pour l'enterrer. Je courus vers le cadavre et enfouis mon museau dans son pelage, dans l'espoir d'y trouver un coeur battant, la chaleur de la vie. Mais il restait désespérément froid et et sans mouvement. Je pleurai quelques minutes la mort de notre meneur. Repose en paix, Etoile d'Azur. Et sois heureux dans le Clan de la Lune.
Quand je relevai la tête, le camp était encore désert. Je mourais d'envie d'aller réveiller ma soeur mais son statut de chef me l'interdisait. Je décidai de partir chasser.
Au bout de quelques minutes, je repérai une musaraigne dans les feuilles mortes. Je m'avançai, les pattes frôlant à peine le sol. Mais soudain je fus prise d'une nouvelle quinte de toux. Non ! Je courus après le rongeur mais il était trop tard. Il s'était engouffré dans un trou.Stupide toux ! Découragée, je rentrai au camp. Etoile de Lune était réveillée et organisait les patrouilles.
- "Salut Coeur d'Opale, dit-elle en bâillant à moitié quand elle m'aperçut.
- Salut Perle de... Etoile de Lune. Pas trop fatiguée ?
- Eh bien pas vraiment réveillée, comme tu le vois. Une petite course dans la forêt me ferait du bien.
- Alors allons-y quand tu auras fini les patrouilles, proposai-je avant d'être encore secouée par la toux.
- D'accord, mais depuis quand tousses-tu, Coeur d'Opale ?
- Depuis ce matin, avouai-je. Je dois avoir une plume coincée dans la gorge.
- Ce n'est pas mon avis. Tu devrais aller voir Patte de Pavot.
- Oui, j'irai, mais pour l'instant ça va.
- Je te fais confiance, soupira-t-elle. Mais n'oublie pas Nuage d'Abeille", ajouta-t-elle.
Elle savait trouver les mots justes. Mon coeur se serra.
"Bref, allons-y", enchaîna-t-elle en me voyant me rembrunir.
Nous nous mîmes à courir. Mais aujourd'hui, le coeur n'y était pas. Et en plus de ça, me me sentais lourde et pataude. Je fus obligée de m'arrêter, essoufflée. Je toussai à nouveau, et ma toux semblait de plus en plus rauque.
"Eh bien, Coeur d'Opale ? me taquina ma soeur. Tu as avalé un blaireau ?"
Je ne répondis pas. Je me sentais étrange, comme si quelque chose bougeait en moi. Soudain, les yeux de ma soeur s'arrondirent. Je fus très gênée quand je vus qu'elle fixait mon ventre. J'avais tant grossi que ça ?
"Coeur d'Opale, ne me dis pas que..."
Que quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?!
"Mais tu es enceinte ! Coeur d'Opale, c'est génial ! Je n'y crois pas..."
Enceinte ? J'étais enceinte ? Ma tête me tournait. C'était impossible, et pourtant... Pas tant que ça.
- "Et on peut savoir de qui viennent ces futurs petits ? me demanda-t-elle d'un air malicieux.
- Devine !
- Je ne sais pas, moi. Plus sérieusement, c'est Plume de Pierre, n'est-ce pas ?"
Je rougis. Tout le monde avait-il remarqué quelque chose entre nous ?
N'y penses pas. Tu te rends compte que tu auras une descendance ? Des petits dont tu pourras être fière ?
Je fus à nouveau prise d'une quinte de toux. Mon visage s'assombrit. Comment remplirais-je à la fois mes devoirs de mère et de guerrière ? Me serait-il impossible d'être lieutenante ?

J'eus l'impression que mon cœur s'arrêtait de battre. Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas le genre de Clan à nous attaquer par surprise ! Pourtant, Cœur de Plume ne pouvait pas mentir.
Dans la foule des félins paniquée, j'entrevis Étoile de Lune donner des ordres aux guerriers. Les reines rentraient leurs petits dans la pouponnière. Et les miens ? suivant l'instinct de mère, je craignais pour mes chatons. Petits ou pas, il te faut te battre. Ton Clan a besoin de toi.
Ma sœur fit signe aux guerriers de la suivre. Nous n'avions pas le temps de nous organiser, avions-nous seulement une chance de remporter la bataille ?
Mais déjà nous arrivâmes en vue du Clan des Nuages. Étoile de Romarin en tête, ils nous faisaient face d'un air menaçant. Nous stoppâmes. Le silence était total. Notre chef prit la parole.
- "Avant de faire cette bataille, Étoile de Romarin, j'aimerais que tu m'en expliques les raisons et te laisse une occasion de revenir sur cette décision.
- Mes raisons ? lui cracha le meneur du Clan rival. Votre Clan se croit le plus fort de tous. Il est grand temps de le remettre à sa place. Et je ne souhaite pas revenir sur cette décision, qui est mûrement réfléchie."
Ses yeux perçants se posait tour à tour sur chaque membre de notre Clan. Fleur de Mousse et Papillon de Nuit, malgré leur jeune âge, se tinrent droites et fières.
Étoile de Romarin donna à son Clan le signal de l'attaque et Étoile de Lune fit aussitôt de même. Les guerriers se jetèrent les uns contre les autres dans une pluie de griffes et de crocs. Désemparée, je ne savais où aller. C'est alors que quelqu'un se jeta sur moi. Patte de Nacre ! la reconnus-je à l'odeur. Soudain animée d'une haine inexplicable, je roulai en avant et lui lança un coup de pattes, griffes sorties, qu'elle évita de justesse. Elle ne me laissa pas le temps de réagir et se jeta sous moi en me lascérant au passage. Je sentis un mouvement à l'intérieur de moi en même temps qu'une vive brûlure. Elle tenta alors de sauter sur mon dos mais je la plaquai au sol et la labourai de mes griffes. Elle gémit et je la laissai s'enfuir, animée d'un puissant sentiment de triomphe. Mais il ne dura pas longtemps. Une masse ennemie m'écrasa sous son poids. C'est Source de Pierre ! Le guerrier ennemi était probablement venu venger sa sœur. Qu'il m'aie reconnue ou pas dans la mêlée, peu m'importait. Je me débattis frénétiquement mais ne parviens pas à me dégager de cette position. Il restera sa prise et je me sentis étouffer.
Alors que je perdais tout espoir de le vaincre, une masse grise surgit et attaqua mon assaillant. Je reconnus Plume de Pierre. Source de Pierre me lâcha et se tourna vers le guerrier. Ils se battirent quelques instants mais Plume de Pierre parvint à prendre le dessus. Le compagnon de ma sœur recula et se perdit dans la bataille. Plume de Pierre courut à moi.
- "Cœur d'Opale ! Ça ira ?"
- Oui, mais je voulais te dire quelque chose de très important...
- Quoi ?
- Non, je n'ai pas le temps, je te le dirai après.
- D'accord."
Il se rapprocha.
"Fais attention à toi. Je ne veux pas te perdre."
Il se frotta à moi rapidement et retourna sur le champ de bataille. Coeur d'Opale ! me siffla une voix dans ma tête. Tu n'as pas honte d'oublier ton Clan en pleine bataille ?
Je regardai autour de moi, à la recherche de quelqu'un à aider. Fleur de Mousse et Nuage de Papillon faisaient face à Orage Éternel et s'en sortaient plutôt bien.
Soudain, un cri retentit. Pelage de Sable était aux prises avec Coucher de Soleil qui l'avait mordue à la gorge. Comme traversée d'une décharge électrique, je courus vers elle le plus vite possible, bousculant des guerriers au passage. Traître de Coucher de Soleil ! Comment a-t-il pu oser s'en prendre à un membre de son propre Clan !?
Animée d'une rage bouillante, je bousculai violemment l'assaillant de la vétérante. Il me montra les crocs d'un air farouche et me répondit par un coup de patte que j'évitai in extremis. Je lui donnai un coup de griffe qui lui déchira l'oreille et il riposta à nouveau en m'envoyant sa tête dans l'estomac. J'eus le souffle coupé et le vis griffer Pelage de Sable toujours à terre. Non ! Le sang coulait à flot du corps de la guerrière inerte. Son regard se fit lointain.
"Pelage de Sable !" hurlai-je.
Le silence se fit dans la clairière. Toutes les têtes se tournèrent vers nous. Étoile de Lune poussa un cri déchirant en voyant son ancienne mentor et courut à elle, pendant que des guerriers du Clan de la Foudre maîtrisaient Coucher de Soleil. Ceux du Clan opposé nous regardaient sans piper mot. Le regard glacé de leur chef signifiait clairement : Un Clan de traîtres. Je le savais.
Traître. Assassin. Déchet. Coucher de Soleil.
Pelage de Sable toussa violemment et du sang s'échappa de sa gorge.
"Étoile de Lune. Je vais rejoindre nos ancêtres, je le sais. J'aurai eu la joie de t'avoir pour apprentie et de te voir par la suite devenir la chef de ton Clan. Je compte sur toi pour le protéger en cas de maladies ou de batailles. Mais tu seras une chez exceptionnelle, j'en suis sûre."
Les yeux de ma sœur se remplirent de larmes.
"Pelage de Sable ! Ne me quitte pas ! Pas maintenant ! Patte de Pavot va t'aider, tu vas voir. N'est-ce pas, Patte de Pavot ?"
La guérisseuse leva sur la meneuse un regard triste qui indiquait clairement sa réponse.
Étoile de Lune éclata en sanglots. Je me retins de faire de même.
"Ne pleure pas, Étoile de Lune, dit Pelage de Sable. Vas de l'avant. Tu sais quel lieutenant choisir, maintenant... Adieu."
Les yeux de pelage de Sable devinrent vitreux. Elle poussa un dernier soupir, et ne bougea plus.

Etoile de Lune essuya ses larmes du revers de la patte. Elle foudroya le chef adverse du regard. Même si il ne l'admettrais jamais, elle savait qu'il se sentait penaud. Elle s'approcha de lui jusqu'à frôler les moustaches de l'autre.
-"Je croyais que nous étions alliés ! Tu l'a toi même dit ! Partez. Et ne revenez JAMAIS"
Le Clan adverse partit, chassé par Fleur de Mousse et Coeur d'Opale. Avant de partir, elle vit Source de Pierre la regarder. Elle lui jeta un regard froid. Je t'ai vu. Tu a attaqué ma soeur !
Elle se détourna. L'esprit en ébullition, elle sauta a nouveau sur le promontoire.
-"Que tous ceux qui sont en âge de chasser s'approche du promontoire pour une assemblée du Clan. Vous l'avez vu de vos propres yeux. Coucher de Soleil a tué Pelage de Sable. Si vous voyez ce traitre sur notre territoire, abattez le."
Des feulements approbateurs l'empêchèrent de continuer.
Lorsqu'il cessèrent, la chef continua :
-"L'attaque du Clan des Nuages était injuste. A cause d'elle, nous avons perdu Pelage de Sable et... Fleur de Feu."
Elle baissa la tête en attendant les miaulement horrifiés de ses camarades.
-"Je dois a présent nom un nouveau lieutenant.
Elle l'assemblée du regard et posa ses yeux perçants sur le félin qu'elle cherchais.
Coeur d'Opale, voudrait tu me seconder dans le rôle de lieutenante ?

"et... Fleur de Feu."
Non. Ce n'était pas possible. Notre mère était une guerrière hors pair, elle s'en serait sortie toute seule. Elle n'était pas morte.
Je regardais ma sœur Étoile de Lune, c'est une blague ! S'il te plaît, dis-moi que ce n'est pas vrai ! Je vis une larme brillante perler au coin de son œil. Non ! Fleur de Feu ! Je me retins d'éclater en sanglots. Je n'avais pas eu le temps de dire au revoir à ma mère, je ne m'étais pas blottie contre elle une dernière fois, je ne lui avais jamais dis à quel point je l'aimais. Il était trop tard. Elle était morte sans personne à ses côtés. Maman...
J'aperçois Cristal de Roche devant moi. Mon père tenait sa tête entre ses pattes et était secoué de sortes de spasmes. Il pleurait. Jamais je n'avais connu de mort si brutale, si inattendue. Pourquoi fallait-il que tous ceux que j'aime meurent un par un ?
"Je dois à présent nommer un nouveau lieutenant", poursuivit ma sœur d'une voix tremblante.
De toute façon, je m'en fiche. Je ne veux pas être lieutenante. Notre mère est morte. Mais je connaissais le choix de ma sœur.
"Coeur d'Opale, voudrais-tu me seconder dans le rôle de lieutenante ?"
Je m'avançai. Je ne pouvais pas refuser.
- "Oui, j'accepte.
- "Alors j'annonce ma décision devant le Clan des Étoiles pour que l’esprit de Pelage de Sable l’entende et l’approuve. Ce sera Cœur d'Opale qui me secondera désormais au sein du Clan de la Foudre."
Je frôlait le museau de ma sœur. Personne n'applaudit. Tous baissaient la tête en silence en rendant hommage aux deux défuntes. Ce silence de mort m'enveloppa et devint insupportable. Moi qui avait si longtemps rêvé devenir lieutenante, j'aurais préféré rester une guerrière ordinaire vivant à l'ombre des autres.
Ainsi se finit la cérémonie. À la fin, Étoile de Lune se dirigea vers moi.
"Coeur d'Opale, tu vas aller dans la tanière de la guérisseuse et y rester jusqu'à ta guérison. Ensuite, tu iras dans la pouponnière."
Son ton était sans réplique. Je m'inclinant face à ma sœur. Pendant plusieurs lunes, je serais obligée de rester dans le camp, et je n'éprouvais face à cela aucun bonheur, mais j'aurais encore préféré passer ma vie dans la pouponnière pour revoir Fleur de Feu.
Avant d'aller voir Patte de Pavot, il me restait quelque chose de très important à faire. Je cherchai des yeux celui à qui je voulais parler. Justement, il se dirigeait vers moi.
"Coeur d'Opale, je suis vraiment désolé pour Fleur de Feu. C'était vraiment une guerrière formidable, mais maintenant elle est avec nos ancêtres, où elle ne subira plus aucune guerre, plus aucune maladie. Elle va me manquer à moi aussi."
Je me blottis contre lui et respirai son odeur. Ce parfum de forêt me calma. Je sentis son coeur battre à toute vitesse. Non, je ne voulais pas le perdre. Ni lui, ni ma sœur.
- "Plume de Pierre...
- Oui ?
- Je dois vraiment te dire ce dont je devais te parler tout à l'heure.
- Je t'écoute.
- Je suis enceinte de toi."

-"Oui, j'accepte"
-"Alors, j'annonce ma décision devant le Clan de la Lune pour que l'esprit de Pelage de Sable l'entende et l'approuve. Ce sera Cœur d'Opale qui me secondera désormais"
Étoile de Lune sauta du promontoire pour toucher le museau de sa sœur. Personne n'applaudit. La cérémonie était finie. Les félins se dispersèrent. La chef alla voir Cœur d'Opale pour lui miauler quelques consignes. Elle l'a vit s'éloigner vers Plume de Pierre. A voir l'expression joyeuse du matou, sa compagne venait de lui annoncer qu'elle attendait des chatons de lui. Protéger les, Clan de la Lune ! Avant la veillé de Pelage de Sable et Felur de Feu, il lui restait quelque chose a réglé. Elle sortit vite du Camp. Ses pattes foulèrent le sol, soulevant des nuages de poussières a chaques pas. Elle se dirigea vers la frontière. Source de Pierre l'attendait. Avant qu'il ne puisse mot dire, elle lui cracha a la figure :
-"Stop. Je t'ai vue. Tu as attaquer ma sœur. Je ne veux plus JAMAIS te revoir de toute ma vie."
Étoile de Lune tourna les talons. Elle l'entendit hurler son nom, mais elle l'ignora. 
Elle rentra dans son camp, et alla s'installer entre les deux corps des défuntes. Une énergie nouvelle naissée en elle. J'ai perdue une vie, et alors ? Coucher de Soleil est banni. S'il revient, il sera tué. Pelage de Sable et Fleur de Feu ne seront pas morte en vain. On attaquera le Clan des Nuages. Cœur d'Opale attends des chatons. Mes neveux. De nouveaux apprentis pour le Clan. Et la saison des Feilles Nouvelles est arrivée. Plus de Gibier. Nous ne serons pas vaincus ! Puis, elle ferma les yeux.

Étoile de Lune était allongée entre les corps sans vie de Fleur de Feu et Pelage de Sable. Un instant, mon rêve m'apparut de nouveau. Son corps sembla lui aussi sans vie entre ceux des deux défuntes. J'essayai de me contrôler, il ne s'agissait que d'un simple rêve. Pourtant, je ne pouvais pas m'empêcher de trembler à l'idée de sa tête disparaissant dans les eaux noires. Fallait-il que je lui en parle ?
Ne pense pas à ça. Ce n'est qu'un rêve. As tu déjà oublié ta mère pour te soucier de ça ? Et Pelage de Sable ?
Non. Je ne les oublierai jamais. J'enfouis ma tête entre mes pattes. Il me restait encore ma sœur, Plume de Pierre et mon père. Mais j'avais perdu ma mère. Désolée, maman. Désolée si tu as cru en moi, si tu t'es dit que je deviendrais une guerrière formidable, et même peut-être la chef. Mais Étoile de L'une l'a mérité plus que moi. La preuve, cette fois là tu es définitivement partie sans que je n'aie rien tenté pour te sauver.
Je fus prise à nouveau d'une quinte de toux et ma sœur releva la tête.
"Cœur d'Opale ? Tu voulais me parler ?"
Je remarquai qu'elle avait l'air bouleversé. Triste et désespérée à cause de la mort de notre mère et de Pelage de Pavot, mais pas seulement.
"Et toi ? Ne me dis pas que tu vas bien," répliquai-je.
Elle me conduisit derrière la pouponnière, à l'abri des oreilles indiscrètes. D'un regard, je l'encourageai à parler. Elle se lâcha.
- "Cette bataille a été la pire que j'aie vécu de tout ma vie, dit-elle d'une voix tremblante. Ma mère est morte. Mon ancienne mentor est morte. J'ai perdu une vie. Un traître était parmi nous. Mon compagnon attaque ma sœur... Je suis allée voir Source de Pierre. Je lui ai dit qu'il n'aurait jamais dû t'attaquer et que c'était fini entre nous.
- Étoile de Lune, lui dis-je doucement. Tu n'aurais pas dû faire ça. Il ne savait peut-être pas que c'était moi, ou alors il a cru que j'avais fait du mal à sa propre sœur. Tu imagines, toi, si Patte de Nacre m'attaquait ? Que ferais-tu ?"
Elle ne répondit pas.
- "Tu ferais pareil, ajoutai-je. Je sais que tu l'aimes encore, et que lui aussi. Vous êtes faits l'un pour l'autre. Mais malheureusement, le destin a décidé que ce serait interdit. Le destin est injuste. Moi, j'ai trouvé celui que j'aimais dans mon propre Clan. Mais si ce n'était pas le cas, je l'aurais aimé quand même. Ce n'est pas la distance qui vous sépare qui change quoi que ce soit, même si tu es chef de Clan.
- Mais ce traître aurait pu te tuer aussi, et je ne veux pas perdre quelqu'un de plus. De toute façon, il est trop tard. Et peut-être que c'est mieux ainsi."
Elle volte face et s'en alla.
"Ah oui, poursuivit-elle en s'arrêtant, je veux que tu ailles à la pouponnière, et que tu demandes de l'aide à Patte de Pavot, pour ta toux. Et pour de bon, cette fois. N'oublie pas tes petits."
Elle partit sans se retourner, mais je savais que c'était pour cacher les larmes qui coulaient sur son museau.
J'entrai dans la tanière de la guérisseuse. La forte odeur de plantes médicinales m'apaisa. Pourtant, je toussai de nouveau. Patte de Pavot, qui était en train de trier des herbes, se retourna.
- "Ah, c'est toi, Cœur d'Opale. Qu'est-ce que tu veux ?
- Étoile de Lune m'a demandé si tu avais quelque chose pour ma toux."
Elle le savait dès que j'étais entrée, bien sûr.
- "Écoute, Cœur d'Opale. Va dans la pouponnière et restes-y. Je vais t'apporter des remèdes. Ça fait trop longtemps que tu tousses sans me l'avoir dit. Et que tu es enceinte.
- Ce n'est pas grave, si ?
- Oh, quasiment rien, dit-elle en serrant les dents. Juste le mal blanc qu'il s'est transformé en mal vert, et que tu as laissé se développer sans rien me dire
- Je suis désolée, dis-je en ressentant un cruel pincement de culpabilité.
- Ce n'est pas grave, Cœur d'Opale. Mais fais attention à toi. Les rumeurs se répandent dans le camp à propos de toi. Déjà, le fait que ta sœur t'ai choisie n'était pas un bon choix. Tu es malade et enceinte, comment espère-telle que tu pourras assumer ce rôle ? Tout le monde dit que c'était juste parce que tu étais sa sœur. De plus, ils ne savent pas vraiment de qui sont ces chatons, et te soupçonnent de traîtrise. C'est le moment ou jamais pour ton Plume de Pierre de prouver qu'il t'aime en disant à tous de qui tu es vraiment enceinte."

Cœur d'Opale était entrée dans la tanière de Patte de Pavot. Je m'inquiétais pour elle à l'idée qu'elle doive à la fois être malade, pleine et lieutenante et j'entrai à mon tour dans la tanière de la guérisseuse. L'odeur des remèdes m'imprégna la langue. La guérisseuse parlait à Cœur d'Opale d'un air grave. Lorsqu'elles m'aperçurent, elles se turent et se tournèrent vers moi. Un peu gêné, je demandais tout de même :
- "Patte de Pavot, sais-tu pour quand est la mise bas ?
- La gestation est déjà avancée, et je pense que ta compagne mettra bas dans une demie lune, me répondit-elle en appuyant bien sur les mots "ta compagne"
- Dans une demie-lune ? Si peu ?" m'étranglai-je.
Si elle avait encore le mal vert d'ici-là, elle et ses petits risqueraient de mourir. Je fais donc la résolution de surveiller là guérison de ma compagne. Ma compagne... Qu'avait-elle voulu dire par là ? Je croisai le regard bleu de Coeur d'Opale qui me fit signe de la rejoindre à l'extérieur puit sortit.
"Merci, Patte de Pavot", lançai-je en sortant aussi.
Coeur d'Opale m'avait entraîné dans un endroit du camp silencieux et à l'abri des regards.
- "Plume de Pierre, j'ai quelque chose d'important à te dire.
- Vas-y, je t'écoute.
- Il y a un problème. Plusieurs, même. Tu vois de quoi je parle ?"
J'acquiesçai.
"Premièrement, à cause de toutes ces morts, le Clan s'affaiblit. Le moment est propice à organiser une attaque surprise. Deuxièmement, Étoile de Lune n'aurait pas dû me nommer lieutenante. Elle a cru bien faire, mais cette erreur sera peut-être fatale pour le Clan. C'est pour ça que... Je voudrais te demander de faire tout ce que tu peux. Je sais que tu ne deviendras pas le meilleur guerrier de tous les temps parce que je te l'ai demandé, mais le Clan a plus que jamais besoin de ses guerriers forts."
J'hochai la tête, mi-inquiet, mi-admiratif. Elle se comportait déjà comme une chef.
"Même si pour moi, ronronna-t-elle, tu es déjà le meilleur guerrier de la forêt."
Et toi la meilleure guerrière.
"Mais ce n'est pas pas fini. Des rumeurs commencent à circuler sur nous. Ou plutôt, sur moi. Ils ne savent pas qui est mon compagnon, et certains me soupçonnent d'en avoir un dans un autre Clan. C'est Patte de Pavot qui vient de me le dire. Il faut que ces rumeurs cessent.
Je n'eus pas besoin de son regard insistant pour savoir de quoi elle parlait. Il était temps d'annoncer à tous de qui étaient ces petits. Je vis Etoile de Lune assise sur une pierre, l'air sombre, le vent fouettant sa fourrure. Je rejoignis mon amie et me raclai la gorge.
- "Étoile de Lune, je sais que c'est beaucoup demander, mais je volais te demander si tu acceptais que je fasse une annonce au Clan.
- Ah ? Et à quel sujet ? me demanda-t-elle, intéressée.
- Coeur d'Opale et moi.
- Ah, je vois."
Apparemment, elle était au courant des rumeurs.
"Eh bien, d'accord. Je vais appeler le Clan pour les rassembler. Que tous ceux qui sont en âge de chasser se rapprochent pour une Assemblée de Clan !"
Une fois les félins amassés, des chuchotements fusèrent et des regards se posèrent sur moi.
- "Que fait Plume de Pierre sur le Promontoire ?" cria une voix.
- Cette annonce le concerne plus que moi, et je le laisse la faire, mais je reste sur le Promontoire."
Je m'avançais, la bouche sèche. Les félins amassés autour de moi me regardaient avec insistance, parfois même avec une pointe d'agacement.
- "Alors ? Qu'as-tu à dire, Plume de Pierre ? cria quelqu'un dans l'assemblée.
- Vas-y, m'encouragea Étoile de Lune.
- Très bien."
Je pris mon inspiration.
"Vous avez dû en entendre parler, des rumeurs se disent sur Coeur d'Opale, ses petits et son prétendu compagnon d'un autre Clan. Si je suis là ici, c'est pour vous prouver qu'elle est fausse."
Je balayai la foule du regard. Coeur d'Opale me regardait, les yeux brillants, et me redonna un peu de courage.
"C'est moi, et moi seul, qui suis le père de ses petits. Je l'aime et j'annonce devant tout le Clan qu'à partir de maintenant, elle est officiellement ma compagne, si elle l'accepte.
Les chats se regardèrent dans un murmure d'approbation.
C'est à ce moment que l'idée me traversa l'esprit. Je ne savais pas ce qui m'avait pris et comment j'en avais eu le courage, mais devant toute l'assemblée, je demandai.
"Coeur d'Opale, accepterais-tu d'être ma compagne et de partager ma vie ?"
Qu'est-ce qui t'as a pris de faire ça ? Tu es devenu fou ?
Fou, non. Fou d'elle, peut-être.
Sa réponse fut courte et distincte :
"Oui, j'accepte."
Sans doute, tout le monde allait se moquer de moi pendant des lunes, moi qui plus jeune m'était promis de ne jamais prendre de compagne pour ne pas manquer à mes devoirs de guerrier.
À ma grande surprise, la foule cria nos noms en nous acclamant :
"Plume de Pierre ! Coeur d'Opale !"
C'était la plus belle journée de ma vie.
Je rejoignis Coeur d'Opale. Elle m'effleura le flanc du bout de la queue.
"Tu as été formidable."

La pluie commence à tomber en gouttes fines et glacées. Je frissonne. Je ne sais pas ce qui m'arrive mais j'ai un mauvais pressentiment. Une demi-lune s'est écoulée depuis que Plume de Pierre est le compagnon de ma sœur, et celle-ci est sur le point de mettre bas, assistée de Patte de Pavot. Elle n'est même pas complètement remise du mal vert. J'espère qu'il ne lui arrivera rien. Plume de Pierre fait les cents pas autour de la Pouponnière et sursaute au moindre gémissement. Je suis si stressée que je ne remarque pas trois petites ombres furtives qui se glissent hors de la pouponnière et pénètrent dans la forêt.
Ce n'est que quelques minutes plus tard que Patte de Pavot sort de la pouponnière, l'air inquiet. 
 - "Étoile de Lune, ta sœur ne va pas bien. Et en plus, je ne trouve ni Petite Tempête, ni Petit Ciel, ni Patte d'Argent."
 - Quoi ?! Oh non, ce n'est vraiment pas le moment ! Es-tu sûre qu'elles ne se cachent pas quelque part dans la pouponnière ?
 - J'ai fouillé tous les recoins et je ne les ai pas trouvés. Étoile de Lune, elles ont dû partir dans la forêt. Il faut absolument que tu ailles les sauver."
 Je n'attends pas un instant de plus et m'engouffre dans le bois en courant. Je remarque de petites empreintes peu profondes qui se dirigent vers le centre du bois et je sens mon cœur s'arrêter. Ces tracent mènent tout droit à la tanière du blaireau qui a tué Etoile d'Azur. J'entame une course rapide en suivant l'odeur de mes chatons. Ils ont traversé les broussailles. Cette fois, plus de doute. Ils sont allés vers le terrier du blaireau. Je commence déjà à sentir la puanteur de l'animal. Je continue à progresser entre les ronces qui me griffent la fourrure. Soudain, une autre odeur m'emplit les narines. Une odeur que je reconnaîtrais entre mille, et qui me traverse comme une décharge électrique. Celle du sang. je grimpe sur un rocher. Je suis exactement à la même place qu'au moment où j'ai vu Etoile d'Azur se battre contre la blaireau. Mais je ne vois personne. J'avance encore. Je suis trop près de l'entrée de la tanière, à présent. Beaucoup trop près, même. C'est là que j'entends des cris de guerre provenant du terrier. Mon sang ne fait qu'un tour. Un bond et je suis dans le terrier. Je vois avec horreur Petite Tempête accrochée au pelage d'un blaireau ensanglanté dont la patte se lève sur Patte d'Argent. Le corps de Petit Ciel est allongé à l'autre bout de la tanière et couvert de sang.
NON !
Je m'élance sur le blaireau et le dégage de Petite Tempête. Je n'ai jamais ressenti autant de haine. Aveuglée par la rage, je griffe et regriffe la bête, lui arrachant des grognements de douleur qui n'apaisent pas ma fureur. Ça, c'est pour Étoile d'Azur ! Ça, pour mes petits ! Ça, pour tous ceux que tu as blessés et tués !
Mais la colère me rend pataude. Mes coups sont moins précis, plus maladroits. Je n'aurais jamais dû m'y prendre comme ça ! Je me sens faiblir, de plus en plus. Mes coups sont de moins en moins forts et de moins en moins répétés. Clan de la Lune, non !
Le blaireau a remarqué ce changement de comportement. Il en profite pour m'asséner une pluie de coups de patte. Du sang gicle, mais à présent c'est le mien. L'œil de la bête s'allume d'une lueur de triomphe.
Je n'en peux plus. Je ne soutiendrai plus longtemps ses attaques. 
Il lève sa patte sur moi, je ne me sens plus la force de résister. Elle semble s'abattre sur moi au ralenti. Au fond du sombre terrier, mes petits me regardent avec des yeux horrifiés. Les babines de mon assaillant sont retroussées, laissant apparaître des dents jaunes et acérées.
Et c'est le choc. Ma vie défile à toute vitesse devant mes yeux. Je me vois petite, me disputant avec Petite Opale pour savoir laquelle des deux serait la meilleure guerrière ou la réveillant pour lui montrer à quel point la lune était belle ce soir. Je me vois apprentie, m'entraînant pour la fierté de mes parents et de mon mentor, persuadée d'être la meilleure de toutes. Je me vois guerrière, m'efforçant d'être loyale et de combattre avec courage, mais tombant amoureuse de Source de Pierre. Je revois la fierté dans mes yeux le jour où j'avais été nommée lieutenante. Je me vois chef, reniant mon amour interdit, perdant ma mentor et ma mère. Un voile noir se forme devant mes yeux. Tout le Clan de la Lune est assemblé devant moi. Ma mère pleure. Le petit chat noir, celui qui m'avait annoncé toutes les prophéties qui avaient bouleversé ma vie, sortit de la foule.
"Étoile de Lune. Tu as eu une vie courte, mais remplie. Le blaireau s'acharne sur toi et te fait perdre une à une toutes tes vies. Nous ne pourrons rien faire pour te sauver. Mais nous pouvons nous unir pour que tu aies la force de faire un dernier adieu à ton compagnon, et que tu lui pardonnes ce qu'il a fait."
J'acquiesce, les larmes aux yeux. Je suis dans le terrier. La première chose que je vois est le corps sans vie du blaireau. Je vois Source de Pierre s'avancer vers moi.
"Étoile de Lune ! Ça va aller, ça va aller. Il faut des toiles d'araignée, c'est ça ?"
Je le regarde avec tristesse. Pour la première fois, ce n'est pas moi qui me trouve à sa place.
 - "Non, Source de Pierre. Il est trop tard. Le Clan de la Lune m'a appelée"
 - Tu ne peux pas nous faire ça, Étoile de Lune ! Tu ne peux pas me faire ça ! Je t'aime !
 - Je suis désolée. Je t'aime aussi. Pardonne-moi..
 - Bien sûr que je te pardonne. Je t'aimerai toujours, Étoile de Lune. Toujours. 
 - Moi aussi. Ne m'oublie pas. Adieu."
 Ma vue se brouille. Je prends ma dernière inspiration. Puis, plus rien. Le noir, toujours le noir. Jusqu'à ce que j'arrive dans une lumière blanche étincelante.
 Je suis dans la pouponnière.

Ma respiration devient de plus en plus difficile. Mon halètement rauque couvre le silence de mort qui règne dans le camp. Ils ne vont plus tarder. Mes chatons ou ma soeur et ses petits, je ne saurais le dire. Il ne leur arrivera rien. Cette phrase que je me répète en boucle pour me rassurer devient inutile, rien que des mots vides de sens. Du calme. Facile à penser. Les minutes s'écoulent lentement, et pas de nouvelles. J'ai demandé à être seule. Je ne veux pas voir Patte de Pavot, je ne veux pas voir mon père. J'ai un mauvais pressentiment. L'impression de me noyer petit à petit dans une eau noire, attirée par une force irrésistible vers le fond. Ce fond que je ne vois pas, tant les eaux sont sombres. Je coule, pourtant je me débats. Je bouge mes pattes dans tous les sens et projette des goutelettes d'eau partout autour de moi.
 Non, ce ne sont pas des gouttelettes d'eau. L'eau rouge n'existe pas. C'est bel et bien du sang qui coule, non pas en gouttelettes mais à flot. Et c'est le mien. En face de moi, une masse noire avec une paire d'yeux aussi rouges que mon sang. C'est de cette masse que proviennent des coups de patte. Chaque nouveau coup m'arrache un cri de douleur. Je me sens mourir sous les griffes de cette bête. Mon pelage est couvert de sang, sauf une de mes pattes blanche rayée de noir. Blanche rayée de noir ?!
Un éclair passe devant mes yeux.
Un pelage blanc comme les ailes d'une colombe zébré de rayures noires comme le charbon, maculé de sang. Il est en train de tomber et semble mettre un temps infini. Son corps se courbe avec grâce et bascule lentement en arrière. Sa chute soulève un nuage de poussière.
J'entends le grognement triomphant du blaireau, mais ce cri ne signifie rien. Bien sûr qu'il n'a aucun sens. Etoile de Lune est simplement tombée, elle ne va pas tarder à se relever et à tuer une bonne fois pour toutes ce blaireau. 
Pourtant, elle reste allongée sans bouger sur le sol froid et dur. Je dois l'aider à se remettre sur ses pattes. Elle est juste un peu fatiguée et a besoin d'aide pour se relever, et je l'aiderai comme je l'ai aidée dans ses passes difficiles. Mais je ne peux pas l'atteindre.
"ETOILE DE LUNE ! Je hurle. ETOILE DE LUNE !"
Il faut que je la sorte de là. Je me précipite vers elle, mais un petit chat noir se dresse sur mon chemin. 
 - "Tu ne peux rien faire, Coeur d'Opale, me miaule-t-il.
 - Mais il faut l'aider ! Elle a juste besoin qu'on la soutienne un peu pour continuer le combat ! 
 - Non, Coeur d'Opale. Il est trop tard. 
 - On peut encore l'aider."
J'essaie de forcer le passage avec une violence rageuse mais le matou s'interpose. 
 - "Tu ne peux rien faire, Coeur d'Opale, répète-t-il. Rien... C'est fini pour elle. 
 - Non, ce n'est pas fini !" j'hurle.
Je ne le crois pas. Je ne le croirai jamais. Je continue à me débattre mais des pattes invisibles semblent me retenir. Ce chat ne comprend rien. Etoile de Lune ne se serait pas laissée tuer comme ça. Elle fait juste semblant et va se jeter sur le blaireau d'un moment à l'autre...
 - "ETOILE DE LUNE ! je m'écrie.
 - Elle ne peut pas revenir, Coeur d'Opale. Elle ne peut pas revenir parce qu'elle est m...
 - ELLE-N'EST-PAS-MORTE ! je rugis. ETOILE DE LUNE !
 Il y a beaucoup de mouvement autour de nous, des vas et viens incessants, des cris, mais je n'y prête aucune importance. Le chat noir m'entraîne plus loin d'elle, et avec lui une force invisible qui m'écarte de ma soeur. J'entrevois sa silhouette toujours immobile.
 "ETOILE DE LUNE !" je crie encore.
 À présent, je lui en veux de ne pas s'être relevée et de ne pas avoir couru à moi pour me rassurer. De ne pas avoir fait face au blaireau, de se battre comme elle s'était toujours battue. De ne pas revenir triomphante d'avoir sauvé ses petits.
 Mais elle est toujours vivante, n'est-ce pas ?
Une pensée me traverse l'esprit. Avant, Perle de Lune ne m'a jamais fait attendre. Quand je l'appelais, elle accourait pour savoir ce qui se passait, et même quand je ne l'appelais pas, elle savait quand j'avais besoin d'elle.
 Mais alors, elle est vraiment...
 L'image se dissipe. Je suis dans la pouponnière, mes petits arrivent. Je ne comprends pas l'ampleur de ce que je viens d'apprendre. Je ne comprends pas encore quel est le déchirement qui se fait au plus profond de mon cœur. C'est trop.
 C'est là que je commence à ressentir des contractions. D'un coup, sans prévenir, mon premier petit arrive. C'est un mâle. Un magnifique petit mâle, beige moucheté de brun. Il lève vers moi son petit museau et ses yeux verts à demi clos. Puis sort une femelle. La plus belle que j'aie jamais vue. Son pelage gris pâle rayé de blanc, ses grands yeux violets, son museau rose, rien ne manque. 
 Arrive alors ma dernière petite. Semblable en tout points à ma sœur. Blanche, rayée de brun. Elle leva vers moi ses yeux jaunes et tout mon cœur en est bouleversé. C'est là que je réalise qu'il n'y aura plus jamais de complicité, plus jamais de partie de chasse ou de balades, plus jamais d'après-midi à s'entraîner, de soirées à nommer les étoiles du ciel en pensant à nos ancêtres avec ma sœur. Étoile de Lune est morte. Je pousse un hurlement déchirant.
"ÉTOILE DE LUNE !"
Ma vue se brouille. Je ne ressens plus rien, je ne contrôle plus rien. La même sensation que lorsqu'on tombe dans un trou que l'on avait pas vu, le sol se dérobe sous nos pattes, que l'on ne sent plus la terre ferme pour se raccrocher. On une impression de vide passagère, avant de retrouver un endroit où poser nos pattes. 
C'est exactement ce que je ressens. Je tombe, mais il n'y a aucun endroit où me raccrocher. Le vide, rien que le vide.


J'ouvre les yeux. Devant moi, deux yeux jaunes. Les yeux de ma sœur.
Je suis morte ? Sommes-nous dans le Clan de la Lune ?
Peu importe. Nous sommes sûrement dans le Clan de la Lune, puisque ma sœur est là. Et je suis sûrement morte, puisque je suis dans le Clan de la Lune.
"Étoile de Lune..." je parviens à articuler dans un souffle.
Je cligne des yeux. Non, ce n'est pas ma sœur. C'est l'un de mes petits. Je me redresse. Mes larmes commencent à couler silencieusement sur mon museau. 
Une queue s'enroule autour de moi. Quelqu'un murmure des paroles réconfortantes. Source de Pierre, Cristal de Roche et Patte de Pavot sont à mes côtés. Mes trois petits sont blottis contre moi, gémissant de faim. 
Je m'entend à peine dire :
 "J'ai besoin d'être avec Plume de Pierre, et personne d'autre pour l'instant."
 Mon père et la guérisseuse sortent de la pouponnière sans broncher. J'éclate en sanglots. Je pleure pendant de longues minutes et Plume de Pierre ne dit rien. Il me laisse me vider de mes larmes puis me calmer petit à petit. Quand je ne pleure plus, il m'apporte de la mousse imbibée d'eau. Je bois avidement.
"Celui-là, appelons-le Petit Fauve, murmure-t-il. Il est déjà résistant et fort comme un petit guerrier."
Je hoche la tête en silence. 
 "Celle-là se nommera Petit Iris, à cause de ses yeux presque violets. Et celle-là, je continue en sentant ma voix trembler, sera Petite Lune, en souvenir de ma sœur."
 Plume de Pierre m'approuve. Il me laisse me blottir contre lui comme mes chatons se blottissent contre moi. Je me sens faible.


Quelque jours sont passés depuis que ma sœur est... Non, je n'arriverai plus jamais à dire ce mot là. Il fait nuit et une légère brise rafraîchit la chaleur accablante. Je me rends à la Pierre de Lune, escortée de Patte de Pavot et d'Épi de Maïs. Tous regrettent la mort de notre chef. 
Suite à mon rêve, que personne n'a remis en cause, des chats se sont rendus à la tanière du blaireau et ont tué l'animal déjà faible. Ils ont découvert des traces de luttes et du sang, mais nulle trace du cadavre d'Etoile de Lune. 
 Nous parvenons enfin à la Pierre de Lune. Lorsque nous entrons, l'obscurité est totale. Des voix semblent nous accueillir. Tous ces murmures ne me rendent pas tranquille. J'ai l'impression d'être épiée. Nous arrivons à la grande salle où se trouve la Pierre. Tous gardent le silence. La lune ne tarde pas et une lumière intense illumine la salle. Je m'allonge sur la Pierre froide, imitée de la guérisseuse et d'Epi de Maïs, et ferme les yeux.
Presque immédiatement, je me retrouve devant le Clan de la Lune. Leurs yeux reflètent la lueur de la lune.
 "Bienvenue, Coeur d'Opale. Il est temps pour toi de recevoir tes neuf vies de chef."
 Un mâle que je ne connais pas, quasi-transparent, s'avance. Son pelage est d'un roux flamboyant.
 "Je suis Foudre, celui qui a créé ton Clan. Je n'apparais que très rarement, et uniquement aux chats qui savent ce qu'est la souffrance, car c'est ceux qui ont besoin de moi. Avec cette vie, je te donne le courage, valeurs ont on parle souvent mais dont on fait rarement preuve, pour que tu relèves la tête même dans les mauvaises passes."
 Il m'effleure du museau. Ce contact pourtant si bref me traverse d'une puissante décharge qui parcourt tout mon corps. Une grande tristesse m'envahit, cependant je me redresse et me tiens droite.
 Un deuxième chat sort de l'assemblée. Cette fois, c'est une femelle, au pelage charbonneux. Mon cœur se serre quand je reconnais Fleur de Feu, ma mère. 
 "Avec cette vie, je te donne l'amour, pour que tu soutiennes et aimes tes proches mais aussi tout ton Clan."
 Elle aussi m'effleure du museau. Alors que je ne m'attends à ne ressentir que de la tendresse, une décharge si puissante que je manque de m'évanouir me frappe de plein fouet. L'amour d'une mère s'insinue au plus profond de moi même. Cette vie me laisse tremblante. Ma mère me jette un dernier regard empli de douleur puis s'éloigne. Je ne lui ai même pas dis à quel point je l'aime, à quel point je suis triste qu'elle soit...
 Une autre femelle plus petite s'avance vers moi. J'ai envie d'éclater en sanglots quand je reconnais mon ancienne meilleure amie, Nuage d'Abeille, au pelage doré rayé de noir et aux yeux noirs pétillants. Je respire un bon coup pour me calmer. 
 "Avec cette vie, je te donne l'énergie, pour avoir la force de diriger ton Clan quels que soit la difficulté des temps."
 Cette décharge me donne l'impression de courir à toute vitesse sans me fatiguer. 
 Un chaton au pelage gris sombre succède à Nuage d'Abeille. Le chaton miaule :
 "Je suis Petit Ouragan. J'étais promis à un grand avenir, mais un aigle m'a emporté dans ses serres et m'a tué."
 Mon cœur se serre pour ce petit chaton que je ne connais pas.
 "Je te donne la compassion, pour comprendre et partager le chagrin des autres, mais aussi leurs joies."
 Je suis transportée dans un tourbillon d'émotions contradictoires, ressentant tour à tous de la tristesse, de la colère, de la joie. J'ai l'impression de devoir porter tous les chagrins du monde, puis d'être transportée de joie.